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La Lettre de Jim Womack en version française
Avec l'accord du Lean Enterprise Institute, nous vous proposons régulièrement la traduction en Français de la lettre de Jim Womack. Toute reproduction publique, même partielle, de cette traduction est soumise à autorisation. Les lettres archivées sont accessibles en bas de page.
Homicide par l'exemple ? (13 juillet 2010)
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Dave Lahote, mon collègue du LEI (Lean Enterprise Institute) a coutume de dire que les managers, particulièrement ceux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie, surestiment leur rôle, en particulier lorsqu’ils cherchent à améliorer leurs organisations au travers d’initiatives structurées. Et qu’ils sous-estiment en revanche l’impact (souvent négatif) de leurs actions quotidiennes personnelles sur leurs employés. J’ai récemment assisté à un exemple frappant en visitant une entreprise de fonderie dans un pays en développement et dont le siège social est situé dans un pays très développé (j’espère que vous comprenez que j’évite d’identifier les sites que je visite, sauf lorsque je suis élogieux. J’essaie de respecter mes hôtes lorsqu’ils me permettent d’être un invité sur leur gemba et je veux vraiment qu’ils s’améliorent. Ca ne se passe pas par des blâmes publics).
L’usine était dans un secteur industriel fondamentalement dangereux et j’ai été surpris et satisfait de voir dès l’entrée dans l’atelier un panneau d’affichage indiquant les causes des blessures du mois précédent. Il était très détaillé et tenu à jour. Les responsables de l’usine qui m’accompagnaient ont indiqué que cela permettait de focaliser les esprits de tous sur la sécurité et que c’était une partie d’un vaste programme de sensibilisation à la sécurité requis par le siège pour réduire les accidents.
J’ai alors effectué un petit calcul. Le graphique indiquait que 12% des salariés de l’entreprise avaient connu un arrêt de travail pour cause d’accident durant le mois précédent ! Pour autant, il s’agissait d’un mois ordinaire. L’arithmétique de base indiquait qu’un opérateur moyen pouvait prévoir d’avoir un accident avec arrêt tous les 8 mois ! Il semblait y avoir un fossé entre les objectifs du programme de sécurité et les résultats et je me demandais pourquoi en continuant ma visite sur le site de production.
L’usine subissait des problèmes sérieux de qualité à la fonderie des énormes moteurs pour des poids lourds. Un haut responsable du siège venait d’ailleurs juste d’arriver pour traiter ce problème. Nous nous sommes croisés à la table vibrante conçue pour enlever le sable résiduel des pièces lorsqu’elles descendaient par une goulotte en sortie de moulage. Juste comme j’arrivais, le responsable expliquait qu’il est important d’aller à la source des problèmes et que celle-ci pouvait être la table vibrante. Et cet homme imposant a soudainement fait preuve d’une force et d’une agilité surprenantes en se balançant à partir d’un rail au-dessus de nous pour se jeter sur la table vibrante en opération, alors que d’énormes pièces descendaient par la goulotte et atterrissaient près de lui sur la table.
Au départ, j’ai pensé que c’était une manière aberrante de risquer la vie d’un manager important. Mais en me tournant pour voir les visages des opérateurs qui le regardaient, j’ai réalisé qu’il était bien plus probable qu’il allait risquer leurs vies dans le futur. Le message officiel de la Direction du siège était que la sécurité était une priorité pour le management, à réduire par un programme ambitieux. Mais les actions de ce haut responsable – bien intentionné puisqu’il est vrai que les managers doivent aller à la source des problèmes plutôt que d’en parler dans des salles de réunion – envoyaient un message inverse et beaucoup plus fort : si vous voulez progresser ici, vous devez foncer et agir sans tenir compte des risques. Je me suis demandé si ça n’allait pas devenir un cas d’homicide par l’exemple.
C’était le cas le plus spectaculaire que j’ai jamais rencontré, et il était d’autant plus perturbant pour moi que je venais de traverser le bidonville isolé dans lequel les opérateurs habitaient et avais pu constater qu’il y avait peu de chances d’y avoir un bon salaire ailleurs que dans cette unique usine. Mais en réfléchissant à ce que je venais de voir, je me suis rendu compte que je vois des exemples similaires, certes moins dangereux et importants, tous les jours lorsque je voyage.
Par exemple, j’ai récemment vu plusieurs situations dans lesquelles des managers essayaient de changer leurs pratiques en déployant le Hoshin Kanri (vision partagée). Analyses A3 et travail standardisé (y compris pour les supérieurs hiérarchiques) font partie des programmes lean. Les opérateurs y répondent en général très positivement. Mais alors quelque chose se passe mal en production ou, tout simplement, le « manager lean » nouvellement créé est fatigué après une longue journée. Et le manageur classique qui rôde en chacun de nous ressort alors brutalement pour donner des ordres descendants, prescrire une solution avant même qu’il y ait accord sur le problème, ou agir d’une autre manière sans effort de documentation de la situation, annihilant ainsi les efforts faits pour imposer la standardisation. Je pourrais relater plus d’un exemple dans notre propre structure, impliquant notre dirigeant –votre serviteur– mais je vais éviter de me faire mal…Il suffit de dire que je plaide coupable.
Heureusement, je vois aussi de temps en temps des contre-exemples. Il y a quelques semaines, j’ai passé une journée avec un PDG que j’appellerai Bob. Il se battait pour poursuivre ses efforts pour diriger et améliorer les processus principaux de son entreprise avec le A3. Il allait contre une vie professionnelle entière dans laquelle il donnait des ordres de son bureau et manageait par les résultats, et ses A3 n’étaient vraiment pas très bons. Il avait en particulier beaucoup de mal avec l’identification des causes racines. J’ai aussi noté que les autres éléments de l’initiative lean de son entreprise étaient également assez grossiers, en particulier l’effort pour atteindre la stabilité de base dans ses processus fondamentaux.
Mais j’ai été frappé par la ténacité de Bob, même à la fin d’une longue journée dans laquelle beaucoup de choses s’étaient mal passées et où il avait été tenté de revenir aux anciennes manières. Et j’ai vu l’effet remarquable qu’il avait sur ses subordonnés directs, qui sortaient de leurs bureaux pour poser des questions jamais posées, tout en se battant avec leurs A3 imparfaits. Ce que je voyais, c’était l’impact puissant de l’exemple personnel positif dans une situation ou les éléments de l’initiative lean de l’entreprise n’étaient pas encore sophistiqués ou mis en œuvre. Je savais que dans un an ou deux, l’entreprise de Bob serait beaucoup plus loin sur le chemin vers l’entreprise lean que la fonderie qui aurait toujours un magnifique rapport sur la sécurité avec rien à montrer en contrepartie.
Et je donc suggère à chacun, et je m’inclus évidemment, de faire un peu de Hansei (auto-analyse critique) à intervalles rapprochés. Posez-vous une question simple : est-ce que le message que nous (les leaders de la structure et moi) envoyons au travers de règles et programmes formalisés, ou avec des outils de management comme le A3, sont les mêmes que ceux que nous transmettons chaque jour au travers de notre exemple personnel ? Et si non, que pouvons-nous faire pour rendre nos actes cohérents avec nos paroles ?
Cordialement,
Jim Womack, Président et Fondateur, Lean Enterprise Institute
Merci à Anne-Laure Delpech, consultante en organisation, pour cette traduction.
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Lettres archivées
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- 50. L'Important d'être Constant (11 février 2009)
- 49. Apprendre à manager (22 janvier 2009)
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