> > |
META TOPICPARENT |
name="EditorialSite" |
Editorial - Point, Flow et System Kaizen
La deuxième rencontre du Projet Lean Entreprise a été l'occasion de constater, une fois de plus,
que la pensée (et l'action) lean n'est pas monolithique mais peut être appréhendée avec succès de manières fort
différentes. En effet, en filigrane des nombreux débats sur la mise en place du lean, on peut distinguer trois
approches distinctes.
L'approche la plus répandue est celle du kaizen ponctuel (point kaizen), qui trouve ses origines dans le mouvement
des cercles de qualité des années quatre-vingt et a été diffusée en Europe par Masaaki Imai (Kaizen,
Gemba Kaizen) et le Kaizen Institute. Le point kaizen consiste le plus souvent à identifier
les principaux goulots d'étranglement du système de production et à engager un chantier d'amélioration permettant
de les soulager. C'est l'approche la plus similaire des démarches de "chasse aux gaspis" car ceux-ci sont faciles
à identifier. Pour reprendre un exemple d'Imai, si au cours d'une opération d'assemblage de deux secondes l'opérateur doit
se retourner pour aller chercher une pièce derrière lui ou elle, ce qui lui en prend cinq, mettre en place un
approvisionnement frontal permet un doublement de la productivité. C'est également une approche qui se prête bien à
l'intervention extérieure car les chantiers sont circonscrits dans l'usine et leur réalisation peut facilement être
déléguée à des consultants. En revanche, il est souvent difficile d'obtenir des résultats globaux au niveau de l'usine
et, sur le moyen terme, l'approche par le point kaizen demande une très grande détermination du management pour ne
pas laisser s'essouffler la dynamique. Pour éviter ces difficultés, il est utile de garder en tête les trois étapes
fondamentales du point kaizen selon Imai :
- 5S
- Elimination des muda
- Standardisation du travail
Moins répandue, mais plus spectaculaire, est l'approche du kaizen des flux (flow kaizen). L'objectif est d'aller
au-delà de chantiers kaizen isolés etde créer une "ligne modèle" au sein de l'usine. Dans des usines d'assemblage,
cette approche permet souvent des réductions spectaculaires des besoins en ressources directes et une amélioration
conséquente de la situation en termes de cash (baisse du besoin en fond de roulement). Elle consiste à en créer des
"cellules" de production standardisée pièce-à-pièce, ce qui s'avère plus complexe à la mise en oeuvre, et implique
l'engagement des services supports de l'usine. La première étape du flow kaizen consiste le plus souvent à
dessiner un spaghetti chart qui permet de repérer les flux physiques dans l'usine, puis à constituer des familles
de produits. Une fois ces dernières identifiées, on peut choisir un groupe de produits qui passeront par une cellule modèle
de production. Un chantier de flow-and-layout permet alors de constituer des cellules (mise en place de shop stock,
circuits d'approvisionnement, etc.). Bien entendu, de telles cellules de production ne peuvent fonctionner qu'au
sein d'un flux logistiques complètement redéfini : petits conteneurs, prélèvements réguliers, approvisionnements en
"petit train", etc. Une façon efficace de mettre en place le flow kaizen est de démarrer d'emblée avec un séquenceur
et des cartes kanban pour "tirer" le flux, et, ce faisant, tirer l'amélioration. Cette approche peut être spectaculaire
mais elle est délicate à mettre en oeuvre car elle demande davantage de compétences en interne pour non seulement
mettre en place le flux (séquenceur, cartes, containeurs, SMED, etc.) mais également, d'une part, pour lisser les
programmes de production de manière à maîtriser les stocks et, de l'autre, pour régler raépidement les problèmes de qualité que
l'on va nécessairement mettre en évidence. Le flow kaizen se prête donc moins aux interventions de consultants,
mais il est le véhicule privilégié des actions d'intégration des fournisseurs par les constructeurs lean. En effet,
le client maîtrisant son appel de production peut rapidement amener son fournisseur à mettre en place une ligne modèle
pour servir ses propres besoins en pièces. En revanche, la généralisation de la ligne modèle à l'ensemble de l'usine peut
s'avérer problématique si le chantier d'amélioration n'a pas été conduit avec l'implication de tout le management de
l'usine, et, principalement, son directeur. Au-delà d'outils individuels, le flow kaizen requiert une bonne
maîtrise de l'ensemble de la boîte à outils "lean" et de leur articulation avec les principes de base.
Enfin, la troisième approche, le kaizen du système (system kaizen) aborde le lean sous l'aspect du développement des
personnes plutôt que des outils en suivant le principe Toyota selon lequel on ne peut "fabriquer des pièces (monozuki)
avec succès sans développer des gens (hito-zukuri)". Selon Teruyuki Minoura, President and CEO de Toyota Motor
Manufacturing North America, il s'agit de " _créer un climat de travail dans lequel les gens sont formés à observer les règles
et les standards comme s'il s'agissait d'une seconde nature_ ", pour pouvoir utiliser leur expérience et leurs idées:
" le T de TPS représente aussi "Thinking": la réflexion. " L'approche system kaizen repose sur l'idée que la direction
de l'usine forme elle-même les managers de première ligne (agents de maîtrise, superviseurs, animateurs) au respect des
standards, à la mise en oeuvre de contremesures rapides en cas de problème, à la réflexion de fond (5 pourquoi?) et au
kaizen. Cette approche se fonde sur les principes clé du "Toyota Way":
- genichi gembutsu : aller voir sur le terrain et créer un management visuel qui permet, à tous les niveaux, de savoir si on est en avance ou en retard sur le plan (par exemple, des cartes kanban qui s'accumulent dans le lanceur et un couloir presque vide dans le shop stock permettent de voir immédiatement que la production est sans doute en retard) ;
- un environnement visuel clair, qui permet de challenger systématiquement ce qu'on y voit. Le directeur de site peut ainsi maintenir une pression constante sur ses équipes et ses experts en questionnant ce qu'il ou elle voit, et en interrogeant les acteurs sur les actions d'amélioration qu'ils comptent mettre en oeuvre - conduisant ainsi au troisième principe...
- kaizen.
- 5 pourquoi ? : les remises en causes se font sous la forme de 5 "pourquoi ?" plutôt que des 5 "qui ?" - il ne s'agit pas d'attribuer un blâme, mais de travailler ensemble en équipe à résoudre les problèmes.
L'approche du system kaizen est difficile à mettre en oeuvre car elle nécessite de développer des compétences de toutes
pièces en interne, mais c'est également celle qui produit l'impact le plus large sur le site, et s'avère, à moyen terme,
la plus pérenne car elle requiert ou conquiert l'engagement de tous.
Bien entendu, ces différentes approches ne sont en rien incompatibles et toutes trois doivent être menées de front si l'on
souhaite mettre en place le lean rapidement dans un site. Plutôt, elle représentent des "clefs d'entrées" disctinctes qui
permettent d'aborder les sites différemment selon la situation locale et l'environnement politique. Jeffrey Liker souligne
dans The Toyota Way les risques à se lancer dans des chantiers qui ne convaincraient pas totalement la
direction de l'entreprise et ne bénéficierait pas de son soutien plein et entier. En distingant kaizen ponctuel, kaizen des
flux et kaizen du système, les praticiens du lean peuvent mieux choisir la stratégie qui déclenchera l'adhésion enthousiaste
de leur direction.
Les anciens éditos
|