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La Lettre de Jim Womack en version française
Avec l'accord du Lean Enterprise Institute, nous vous proposons régulièrement la traduction en Français de la lettre de Jim Womack. Toute reproduction publique, même partielle, de cette traduction est soumise à autorisation. Les lettres archivées sont accessibles en bas de page.
La dernière lettre : Projets, Processus, Personnes (12 juin 2006)
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Plusieurs membres de la communauté Lean se sont récemment ouverts à moi sur leurs difficultés à évaluer l’état de progrès de leur démarche lean. « Comment savoir dans quelle mesure nous sommes lean ? ». « Quel critère utiliser pour mesurer nos progrès ? ». « Somme-nous au niveau international en matière de lean ? » (quoi que « être au niveau international » puisse vouloir dire !). Puisque l'on me pose des questions de ce type depuis des années, voici ma réponse.
Je commence toujours par la question du projet global, de l'objectif de l'entreprise : que demandent vos clients et que vous n'êtes en ce moment pas capable d'offrir ? Des prix plus bas (impossible à atteindre en raison de coûts trop élevés) ? Une meilleure qualité ? Une réponse plus rapide aux commandes ? Un meilleur service après-vente une fois le produit livré ? Un système de devis plus rapide ? Des produits plus robustes, plus flexibles – en un mot, mieux conçus ?
Et quels sont les besoins de votre entreprise pour prospérer ? Des marges plus élevées ? Etre capable d’exploiter rapidement de nouvelles opportunités de croissance ? Une nouvelle manière de résoudre les problèmes de vos clients et d'entrer dans de nouveaux marchés ?
L'objectif de l'entreprise combine systématiquement ces deux aspects : ce dont vous avez besoin pour satisfaire vos clients, et ce que vous devez améliorer pour survivre et prospérer. Heureusement, s'attaquer au premier problème résout habituellement du même coup le second, mais vous devez connaître précisément le problème au départ.
Par exemple, en visitant le département de rédaction des polices d'assurance de Jefferson Pilot, il y a quelques années de cela, j'ai constaté que l'encadrement pouvait citer immédiatement ses objectifs opérationnels. Il s'agissait pour eux de réduire le temps nécessaire à la rédaction d'une police (de 30 jours à une journée seulement). Cela servait à la fois les intérêts de l'assuré et ceux des agents qui vendent les polices, car ces derniers n'obtiennent leur commission qu'une fois la police présentée au client. Plus intéressant encore pour la firme, un service de très bonne qualité incite les agents indépendants à vendre des assurances Jefferson Pilot, ce qui permettrait aux ventes de JP de croître rapidement, sans baisse de prix, dans un marché par ailleurs stagnant.
Et pourtant, je suis souvent surpris du manque de lien entre les projets lean actuels et des objectifs business clairement identifiés. On supprime des postes parce que ça fait bien — c'est lean ! On installe des systèmes de flux tirés parce que les flux poussés n’ont pas la cote. Pendant ce temps, les clients ne sont pas plus heureux et l'entreprise ne se porte pas mieux financièrement pour autant. Commencez donc par vos besoins business, définis par rapport à vos clients et votre entreprise, et intéressez-vous à l'écart entre le point où vous êtes et celui que vous devez atteindre.
Les clients, évidemment, ne s'intéressent qu'à leur produit en particulier et pas à la moyenne de tout votre catalogue. C’est pourquoi il est important d'effectuer cette analyse par familles de produits pour des produits spécifiques afin de synthétiser l'écart en termes de besoins business que votre démarche lean doit satisfaire.
Avec en main une description simple des objectifs, on est en mesure de déterminer le processus qui fournit au client la valeur recherchée. Un
processus, selon l’acception que je donne à ce mot, c’est simplement un flux de valeur -- toutes les tâches réalisées pour répondre à un client, du début à la fin, plus les actions ancillaires nécessaire à ces tâches. Souvenons-nous que toute valeur résulte au final d'un processus et que les processus ne peuvent produire que ce qu'ils ont été conçus pour produire -- jamais mieux et parfois pire.
Cartographier la chaîne de valeur constitue l'outil le plus utile pour évaluer l'état d'un processus. Cela met en évidence toutes les étapes du
processus et permet de vérifier si chaque étape est bien créatrice de valeur, efficace, disponible, adéquate et flexible. On vérifie également que la valeur coule naturellement d'une étape à l'autre, tirée par le client après estimation du niveau de la demande.
Notez toutefois que la cartographie doit être interprétée en termes de besoins business. Toutes les étapes ne peuvent pas être éliminées ou améliorées sans délai et certaines étapes peuvent remplir leur rôle dans leur état actuel même sans être totalement lean. Il faut travailler sur les étapes et les problèmes pertinents pour les clients et le succès de votre entreprise.
Je mesure par expérience combien il est aisé de perdre de vue l'essentiel et de suivre, pourrait-on dire, l'appel du lean plutôt que les objectifs business. Lorsque je m'occupais d'une petite fabrique de vélos, il y a quelques années, nous parvenions à souder et assembler huit vélos par jour,
A livrer et à passer des commandes de pièces une fois par jour (c'était une avancée révolutionnaire par rapport à la situation initiale). Mais j'avais bien l'intention d'être plus lean que Toyota, et j'ai poussé à ce que nous construisions les vélos dans l'ordre exact où les commandes nous parvenaient, ce qui nous faisait passer d'un modèle à l'autre dans une séquence de type ABABCBAB.
Et cela était fort satisfaisant. Mais nous n’étions cependant capables que de livrer et de commander une fois par jour ! Une séquence AAABBBBC eut été équivalente pour nos clients et nos fournisseurs et nous aurait fait économiser cinq changements par jour, qui demandaient des efforts humains bien utiles ailleurs.
J'ai eu une expérience similaire en visitant une firme où le temps de mise en route d'une grosse machine a été réduit de huit heures à cinq minutes. Dans une démarche kaizen d'amélioration continue, réduire ce temps de mise en route de manière aussi importante semblait un objectif valable pour l'équipe. Pourtant, après avoir posé quelques questions, j'ai appris que la machine ne servait qu'à un seul type de pièce et jamais pour plus d'une pièce à la fois ! Réduire le temps de mise en marche de cette machine n'était d'aucune utilité concrète, bien que passer de huit heures à cinq minutes ait semblé très lean en théorie. L'équipe lean a justifié leur démarche par le challenge que représentait cet objectif et le fait que chacun avait bénéficié de cette expérience dans d'autres projets. Mais c'est exactement ce que j'avais pensé à l'entreprise de vélo où chaque centime comptait pour les besoins de l'entreprise. Je suis désormais plus mature.
Des processus brillants qui servent de vrais objectifs, cela ne se met pas en place tout seul. Cela implique des équipes menées par des gens responsables. Et l’intégration en continu au sein d’équipes plus grandes menées par des gestionnaires de flux de valeur. La dernière question à se poser touche donc les personnes: chaque processus important dans votre entreprise est-il attribué à un responsable qui évalue en permanence le flux de valeur en terme de besoins business ? Chaque personne participant au flux de valeur est-il/elle activement impliqué(e) dans sa mise en œuvre et son amélioration continue avec comme objectif les besoins business ?
Aussi, si j’étais à votre place, la formule que j’emploierais pour évaluer votre démarche lean est très simple : définissez vos objectifs, puis vos processus, puis votre personnel. Notez que cette manière de faire est complètement différent des multiples "métriques" que les membres de la communauté lean exigent souvent : combien de chantiers kaizen ont été réalisés ? Combien de temps d'attente a ainsi été récupéré ? Quel volume de stock a été supprimé ? Et comment tout ceci se compare-t-il avec la concurrence, ou avec Toyota ?
Un bon résultat sur ces critères lean peut constituer un objectif valable, mais voir ces critères abstraits comme une mesure réaliste de "lean-itude" sans lien avec les besoins d'affaires serait une grosse erreur. Au mieux, ces critères sont des mesures efficaces pour conduire l'amélioration des fonctions lean. Ce qu'il faut vraiment, ce sont des mesures qui ont un sens par rapport au modèle d'affaires, des mesures développées et largement partagées par un responsable du flux de valeur et comprises et soutenues par toute l'équipe en charge du flux de valeur.
Cordialement,
Jim WOMACK
Président et fondateur du Lean Enterprise Institute
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Lettres archivées
- Projets, Processus, Personnes (12 juin 2006)
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- Le Nouveau Lean Enterprise Institute (5 avril 2006)
- Juste-à-temps, juste au cas où, et juste tout faux (22 janvier 2006)
- Une Réelle Opportunité (7 novembre 2005)
- Nécessaire mais pas suffisant (17 octobre 2005)
- L’édition Lean et la parution de Lean Solutions (8 septembre 2005)
- Consommer et distribuer : des solutions lean (16 août 2005)
- La Vérité émerge des rêves de la fiction (31 mai 2005)
- Le hic avec le travail créatif et le management créatif (10 mai 2005)
- La spectaculaire diffusion de la pensée lean (11 avril 2005)
- Consommer lean (7 mars 2005)
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- L'Etat du lean en 2005 (12 janvier 2005)
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- Un Système d'information Lean (5 novembre 2004)
- En déconstruisant la Tour de Babel (8 octobre 2004)
- La Concurrence vaut-elle le lean ?, 5 septembre 2004
- Mauvaises gens ou mauvais processus ?, 29 juillet 2004
- Créer une stabilité élémentaire, 26 mai 2004
- Soucis standardisés, 27 avril 2004
- Les Merveilles des flux tirés et lissés, 30 mars 2004
- Le "lean" au-delà des frontières de l'usine, 24 mars 2004
- Ajouter des coûts ou créer de la valeur ?, 4 mars 2004
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