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La Lettre de Jim Womack en version française

Avec l'accord du Lean Enterprise Institute, nous vous proposons régulièrement la traduction en Français de la lettre de Jim Womack. Toute reproduction publique, même partielle, de cette traduction est soumise à autorisation. Les lettres archivées sont accessibles en bas de page.

La Fin d'une époque (2 juin 2009)

Hier, le dépôt de bilan de General Motors a marqué la fin d'une époque. La première grande entreprise « managée par les chiffres » vraiment moderne, créée dans les années 20 par Alfred Sloan, vient d’être enterrée en tant que concept viable. Quelle sera la suite de l’histoire ?

Ce n'est pas seulement une question pour GM ni même pour les seules grandes entreprises. Hier a également marqué la fin de l’histoire Lean telle qu’elle se déroule depuis trente ans, depuis que GM a commencé à décliner lors de la récession de 1979. David (en fait une équipe de David) a finalement abattu Goliath juste au moment où Goliath avait fini par s’intéresser au message du Lean. Il nous faut donc aussi examiner ce qui va ensuite se passer pour la communauté Lean elle-même.

La suite pour GM

Début 2009, GM cumulait trois faiblesses majeures. Elle avait trop de dettes héritées de son passé -– de porteurs d’obligations et de retraités. Le coût social de ses employés était trop élevé pour concurrencer les usines de constructeurs étrangers implantés en Amérique du Nord ("transplants"). Et l'argent qu'elle recevait pour la vente de ses produits dans la plupart des segments du marché était bien au-dessous de la moyenne en raison, en partie de l’héritage de décennies de produits défectueux, et en partie de la perte du pouls du public sur ce que la société et ses produits auraient dû signifier pour les clients.

Ironiquement, GM avait également des forces considérables. Elle possédait des usines compétitives en termes de productivité et de qualité et un processus de développement produits compétitif lorsque ses efforts pouvaient être focalisés. (Par exemple, la nouvelle Chevrolet Malibu.) Après avoir échoué pendant 15 ans à apprendre ses leçons avec NUMMI (sa joint-venture avec Toyota en Californie), GM avait développé, ces dernières années, un système de fabrication global compétitif et cohérent et avait rationalisé son organisation de développement global de produits. Elle avait même pris des mesures pour mettre en œuvre la transformation Lean de ses processus internes. Mais -- comme son fournisseur de pièces filialisé Delphi -– le Lean est arrivé trop tard.

La faillite remet les compteurs à zéro. L'endettement hérité a été ramené à un niveau acceptable et le coût des employés actuels sera désormais beaucoup plus compétitif. En outre, la société est en train de réduire considérablement son portefeuille de marques avec une capacité de production adaptée à une part du marché réaliste en volume.

Alors, quel est le problème? Simplement que GM n'a pour l'instant expliqué que ce qu’elle n’est pas. Que GM n’est pas Saturn ni Saab ni Pontiac ni Hummer (ni Opel ou Vauxhall non plus, bien que le nouvel Opel sera certainement un fournisseur global de voitures pour GM pendant encore longtemps). Et que GM n’est pas un fabricant majeur aux Etats-Unis en dehors de la région du Midwest. Et que GM n’est pas, du point de vue de la rentabilité, principalement une société de financement. Et que GM n'aura pas un réseau de revendeurs couvrant toutes les zones de chalandise de chaque ville à travers le continent.

Mais ce qu’une société n’est pas est sans intérêt pour les consommateurs. Si General Motors n'est plus "le GM de votre père" (pour paraphraser la publicité en ligne dans les dernières années de l’Oldsmobile) ni "l'entreprise qui vous laisse tomber" (comme le PDG Fritz Henderson l’a formulé à la conférence de presse d'hier), alors qu'est-ce que c'est ? Pourquoi de nouveaux clients devraient avoir envie d’acheter des produits GM, et encore moins payer dans la fourchette haute des prix dont GM a besoin pour se développer ? Et qui peut définir le nouveau et attrayant GM ?

Le grand génie de Sloan lors de la recréation de General Motors dans les années 1920 (après cette deuxième réorganisation, celle d’hier était la troisième en 100 ans) a été de fournir une explication sur la façon dont GM s'intégrait dans la vie de chaque Américain. Il a présenté une gamme globale de véhicules depuis la Chevrolet d'occasion comme première voiture pour les acheteurs à bas revenu à la Cadillac toute équipée pour ceux qui avaient réussi financièrement. Et les produits GM étaient soigneusement hiérarchisés avec un soin extrême apporté à l'aspect et aux sensations de chaque produit en lien avec les goûts américains. Durant sa phase de croissance exponentielle, GM a en effet souvent été l'arbitre du goût américain.

Pour l'instant, le seul message sur ce que veut être GM est la Volt, son « hybride-électrique » à rayon d’action étendu. C'est peut-être un début, mais il est porteur d’énormes risques étant donné l'obsolescence des technologies et de la perception des politiques et du public sur le changement climatique et la dépendance énergétique. Et, même si c'est un début, ce n’est qu’un tout petit début. Qui peut définir précisément "le GM de votre fils", "le GM qui ne vous laisse pas tomber" ? Et quelle liberté l'entreprise aura-t-elle pour se réinventer ?

Il est facile de blâmer la dernière équipe de direction de GM pour ses problèmes. Mais les cadres dirigeants de GM que j'ai connu -- la quasi-totalité d'entre eux avaient des antécédents de carrière dans la finance -- ont été remarquablement compétents pour diriger l’entreprise dans la stratégie orientée finance et management par le résultat qui a conduit à son succès pendant des générations. Donc, le problème ne relève pas de la compétence individuelle des dirigeants, mais du contresens absolu de GM sur ce que le management doit faire. En termes plus simples, où est le nouveau Sloan, le leader capable de repenser les modes de management et le but de GM pour les rendre à nouveau pertinents pour les Américains ?

Et à supposer que le nouveau Sloan (ou les Sloans) puisse être trouvé, auelles seront les marges de manœuvre de cette personne ou de cette équipe pour diriger l’entreprise et lui redonner son lustre d'antan ? Il s'agit véritablement de la question centrale car le gouvernement des États-Unis, en tant que nouveau propriétaire, est à coup sûr confronté à de grandes contradictions :

Faut-il tailler dans le vif et ajuster immédiatement et d’un seul coup la taille de l’entreprise à sa nouvelle place dans le monde ? (Ce serait le meilleur moyen de faire monter les cours si le gouvernement veut vendre ses actions pour récupérer son investissement massif. Et ce serait le meilleur moyen d’aider aussi Ford et Chrysler en éliminant les capacités excédentaires). Ou bien GM devrait-t-elle stimuler l'emploi dans la profonde récession actuelle et apaiser les syndicats en minimisant les réductions de postes ? On ne peut pas faire les deux à la fois.

GM devrait-elle se focaliser ces prochaines années sur les gros pick-ups et les SUV qui génèrent la totalité de ses bénéfices ? (Ce serait un autre excellent moyen de stimuler le cours des actions afin que le gouvernement récupère son investissement). Ou est-ce que GM devrait se lancer à fond dans les véhicules très économes en carburant, véhicules qui ne se vendront pas, et certainement pas à des marges élevées, sauf si le prix du carburant est également ajusté de manière spectaculaire à la hausse vers les niveaux payés ailleurs dans le monde ? (par exemple, 5 $ au lieu de 2 dollars le gallon.) On ne peut pas non plus faire les deux à la fois.

Il est clair que le plus dur reste à faire, après cette faillite, et nous allons tous regarder ce qui va arriver. Mais permettez-moi de faire un apparté à destination de mes lecteurs -- et ils sont nombreux -- qui travaillent à GM et qui peuvent jouer un rôle actif dans ce futur. Je vous souhaite sincèrement bon courage.

Et la suite pour le Lean ?

Depuis 30 ans maintenant, la communauté Lean a bénéficié d'un fort vent favorable. GM a régulièrement décliné alors que Toyota a régulièrement progressé. Tout ce que nous avions à faire était d’attendre et nous réjouir ! Mais cette histoire est terminée.

GM et presque tous les grands fabricants ont désormais accepté le Lean comme théorie de management, bien que sa mise en pratique soit toujours une bataille. Comme je l'ai indiqué ci-dessus, GM était en train de devenir une entreprise bien plus Lean lorsqu’elle s’est effondrée et j'ai confiance qu'elle continuera à adopter les principes et les méthodes Lean dans les années à venir.

Dans le même temps, Toyota a montré qu’elle avait ses propres défauts dans la crise financière actuelle. Elle a développé ses capacités dans le monde si rapidement qu’elle a dépassé son potentiel à former assez de managers Lean et a dépassé les attentes raisonnables des besoins en volume des marchés sur le long terme. (Comme je l'ai mentionné dans mes précédents courriers, au milieu des années 1990, Toyota a redéfini son but qui était "d'être la meilleure organisation à résoudre les problèmes des clients" en "devenir la plus grande entreprise du secteur", un objectif sans intérêt pour le client). Ce fut un véritable recul pour le mouvement Lean.

Dans la Communauté Lean, nous nous retrouvons donc dans l'étrange position d’avoir gagné une bataille d'idées sans que, dans les faits, la plupart de nos partisans ne mettent pleinement en pratique leurs nouvelles convictions. Et nous avons comme modèle idéal d’organisation une entreprise qui fait face à des défis significatifs de management et de rentabilité alors qu’elle a "gagné" la grande compétition entre le management moderne et le management Lean.

Alors même que ce drame se joue au sein des industries manufacturières, les idées Lean se répandent rapidement vers de nouveaux domaines, de l'industrie financière en plein marasme au domaine de la santé et aux administrations publiques. Pourtant, nous n'avons pas encore totalement défini ce que le Lean signifie dans ces domaines, et encore moins la manière de le mettre en œuvre et de le faire perdurer. Aussi, les événements dramatiques de ces dernières semaines ne doivent pas nous conduire à l'auto-congratulation. Ce doit être une opportunité pour l’humilité et l'auto-réflexion -- Hansei, si vous voulez –- alors que nous luttons tous avec la crise économique tout en essayant de redéfinir notre propre but en tant que communauté Lean pour la nouvelle ère à venir.

Cordialement,

Jim Womack, Président et Fondateur, Lean Enterprise Institute

Merci à François Leteux, A²C² SARL, pour cette traduction.

Lettres archivées

----- Revision r1 - 2010-08-24 - 16:36:10 - GodefroyBeauvallet
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