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La Lettre de Jim Womack en version française
Avec l'accord du Lean Enterprise Institute, nous vous proposons régulièrement la traduction en Français de la lettre de Jim Womack. Toute reproduction publique, même partielle, de cette traduction est soumise à autorisation. Les lettres archivées sont accessibles en bas de page.
L'Epreuve de la durée (30 mai 2007)
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J'ai reçu récemment un coup de fil d'un de mes vieux amis qui mena un des premiers efforts d'adaptation du lean dans la santé dans les années 1990. Il a bifurqué vers d'autres défis et nous n'avions pas eu la possibilité de nous revoir ces dernières années. Je lui ai demandé ce qui était advenu de son initiative Lean dans l'entreprise de soins dans laquelle il avait été un haut dirigeant.
La réponse fut celle que je craignais. "Nous avons créé une équipe d'amélioration Lean et conduit une campagne générale pour améliorer les flux de valeur clefs de l'entreprise. Et nous avons eu des résultats spectaculaires. Des flux de patients accélérés. De meilleurs résultats. De moindres coûts. Mais nous n'avons pu faire perdurer ces gains. Les efforts d'amélioration n'étaient pas reliés à la façon dont l'entreprise était dirigée et les flux de valeur ont commencé à régresser vers la moyenne aussitôt après le départ de l'équipe d'amélioration. Après mon départ de l'entreprise, le programme entier s'est arrêté. Quel dommage".
Mon ami est loin d'être seul dans son cas. Dans notre enquête annuelle en ligne auprès de la communauté Lean, un des principaux problèmes que les penseurs Lean relèvent sur leurs efforts d'amélioration est le "glissement vers les vieilles méthodes de travail " après les premiers progrès. Et le problème cité le plus fréquemment cette année est "la résistance au changement du management intermédiaire." En bref, le mouvement Lean a un problème avec l’épreuve de la durée, que nous devons résoudre.
Qu'est-ce qui est au c½ur de notre problème de persistance ? Plus important encore, que pouvons nous y faire ?
Je crois que la cause racine de la régression dans la plupart des entreprises aujourd'hui est la confusion entre priorités à différents niveaux de l'entreprise, ajoutée à la non-mise en place de responsables de la performance de chacun des flux de valeur importants lors de leur écoulement à travers l'entreprise.
Pour empêcher la régression, quelqu'un doit clarifier périodiquement les priorités pour chaque flux de valeur et identifier l'écart de performance entre le besoin du client et ce que le flux de valeur fournit. La personne qui prend cette responsabilité doit alors demander à tous ceux qui sont en contact avec le flux de valeur d'identifier avec soin la condition actuelle ("l'état actuel") du flux de valeur qui cause cet écart. L'étape suivante est d'imaginer un meilleur flux de valeur et déterminer Qui va faire Quoi pour Quand, pour le créer. Enfin, le responsable du flux de valeur doit déterminer ce qui va constituer la preuve que l'écart de performance a été comblé et collecter des données pour le démontrer. Cet exercice n’est, bien sûr, rien d'autre que le cycle Plan Do Check Act du Dr. Deming, conduit fréquemment par la personne responsable, utilisant idéalement l'analyse A3.
Je ne propose pas un changement spectaculaire dans l'organigramme pour redistribuer l'autorité. En fait, je n'ai presque jamais vu une entreprise améliorée par une "ré-organisation". Et je ne suggère pas la création d'une organisation matricielle où chacun a un chef vertical et horizontal. De préférence, lors de la transition vers une entreprise Lean mûre, quelqu'un à un autre poste dans l'entreprise doit prendre le rôle d'auditer fréquemment (et brièvement) le flux horizontal de valeur et montrer à tous ceux qui sont en contact avec ce flux le niveau d’efficience de l'entreprise au long de ce flux.
Remarquez que des audits fréquents de processus au sein de petites entités (par exemple, une cellule à flux continu ou un processus de réapprovisionnement de composants) sont un aspect des pratiques Toyota bien établi que j'appelle "management standardisé". Auditer au travers de plusieurs départements et fonctions pour étudier un flux de valeur d'un bout à l'autre est un changement d'échelle des meilleures pratiques actuelles, pas quelque chose d'entièrement neuf.
Auditer chaque flux de valeur va mettre en exergue les problèmes du flux de valeur et les contradictions des objectifs organisationnels. En fait, cela va montrer de nombreux problèmes et de nombreuses contradictions. Et c'est précisément ce qui est important. La plupart des flux de valeur ont actuellement des écarts de performance substantiels, mais l'importance de l'écart et les causes précises sont difficiles à voir par chacun. (De là la confusion et la résistance de nombreux managers intermédiaires, qui optimisent un ensemble d'objectifs traditionnels – l'utilisation des capitaux, par exemple – alors que les méthodes Lean nécessitent d’autres objectifs.) Résoudre les causes racines d'une mauvaise performance nécessitera que quelqu'un – et vraisemblablement chacun – en contact avec le flux de valeur change son comportement.
Il s'ensuit que chaque manager responsable doit dialoguer avec les leaders des fonctions, et, si nécessaire, avec le comité de direction pour obtenir l'accord sur Qui doit faire Quoi pour Quand, pour augmenter durablement la performance au bénéfice du client et de l'entreprise. (Un des "Quoi" est probablement de ré-évaluer les indicateurs sur lesquels les managers intermédiaires "résistants au changement" sont jugés). Les personnes responsables doivent alors visiter périodiquement les flux de valeur, non pas pour prévenir la régression, mais pour continuellement progresser vers un niveau de performance supérieur.
Une difficulté spécifique dans nos efforts d'éradication de ce problème est que nous ne pouvons simplement copier le Toyota actuel. Par le passé, Toyota a mené de nombreuses boucles itératives pour résoudre le problème du management du flux de valeur au travers de l'entreprise. Mais aujourd'hui son organisation mature repose sur le management stratégique (Hoshin Kanri) au niveau supérieur et un ensemble de managers de ligne auditant leurs entités au niveau du terrain. Parce qu'il n'y a pas de confusion sur les objectifs de haut en bas et parce que les managers ont appris dès le tout début de leur carrière à voir le flux de valeur au delà de leur management, aucun responsable du flux de valeur spécialement désigné n'est nécessaire.
Les autres organisations – la vôtre et la mienne par exemple! – sont différentes et ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d'expérimenter avec les méthodes de management des flux de valeur. Quelle que soit la réponse finale, chacun dans la communauté Lean a une grande valeur dans notre résolution du problème de stabilité. Sinon, l'engouement actuel pour le Lean – piloté par le succès de Toyota – peut devenir un nouvel épisode dans la longue histoire des campagnes d'améliorations instables du management.
Cordialement,
Jim WOMACK
Président et fondateur du Lean Enterprise Institute
Merci à Emmanuel JALLAS, LYSIPPE Consulting, pour sa participation à cette traduction.
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Lettres archivées
- 35. L'Epreuve de la durée (30 mai 2007)
- 34. Créer un système de soins lean (3 mai 2007)
- 33. Pourquoi Toyota a gagné et comment Toyota peut perdre (4 avril 2007)
- 32. Réflexions complémentaires sur la transformation Lean (16 janvier 2007)
- 31. Ce que j'ai appris sur la planification et l'exécution (14 décembre 2006)
- 30. Des Outils lean au management Lean (21 novembre 2006)
- 29. Produit Intérieur Brut contre Gaspillage Intérieur Brut (23 octobre 2006)
- 27. La voie lean pour avancer chez Ford (19 septembre 2006)
- 26. Penser de bout en bout (11 août 2006)
- 25. Mura, Muri, Muda ? (6 juillet 2006)
- 24. Projets, Processus, Personnes (12 juin 2006)
- 23. Moins de héros, plus de paysans (12 mai 2006)
- 22. Le Nouveau Lean Enterprise Institute (5 avril 2006)
- 21. Juste-à-temps, juste au cas où, et juste tout faux (22 janvier 2006)
- 20. Une Réelle Opportunité (7 novembre 2005)
- 19. Nécessaire mais pas suffisant (17 octobre 2005)
- 18. L'édition Lean et la parution de Lean Solutions (8 septembre 2005)
- 17. Consommer et distribuer : des solutions lean (16 août 2005)
- 16. La Vérité émerge des rêves de la fiction (31 mai 2005)
- 15. Le hic avec le travail créatif et le management créatif (10 mai 2005)
- 14. La spectaculaire diffusion de la pensée lean (11 avril 2005)
- 13. Consommer lean (7 mars 2005)
- 12. Un Leadership lean (3 février 2005)
- 11. L'Etat du lean en 2005 (12 janvier 2005)
- 10. Une Ballade dans l'histoire du lean (8 décembre 2004)
- 9. Un Système d'information Lean (5 novembre 2004)
- 8. En déconstruisant la Tour de Babel (8 octobre 2004)
- 7. La Concurrence vaut-elle le lean ?, 5 septembre 2004
- 6. Mauvaises gens ou mauvais processus ?, 29 juillet 2004
- 5. Créer une stabilité élémentaire, 26 mai 2004
- 4. Soucis standardisés, 27 avril 2004
- 3. Les Merveilles des flux tirés et lissés, 30 mars 2004
- 2. Le "lean" au-delà des frontières de l'usine, 24 mars 2004
- 1. Ajouter des coûts ou créer de la valeur ?, 4 mars 2004
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