Dans cet étonnant article sur les origines du Lean, l'auteur remonte la généalogie de ce système de production jusqu'à un vaste programme de formation des agents de maîtrise (superviseurs) aux Etats-Unis, pendant la seconde guerre mondiale. Selon l'auteur, c'est pour répondre aux problèmes industriels posés par le départ de tant d'hommes valides pour l'armée, tout en augmentant la capacité de production de guerre, que le gouvernement américain a développé un programme spécifique de 1940 à 1945 : le Training Within Industry. Ce programme aura touché sur l'ensemble de son existence quelques 1.750.000 personnes sur 16.511 usines et groupements professionnels, avec pour résultat de spectaculaires gains de productivité.
Le programme TWI a été interrompu à la fin de la guerre, avec le changement de priorité de l'administration : le problème était désormais de réintégrer les soldats rentrants dans l'appareil productif (ce qui conduira, par exemple, au GI Bill qui permet aux soldats de reprendre des études supérieures). Au regard de son succès aux Etats-Unis, il a alors été exporté au Japon pendant la période de la reconstruction ; selon l'auteur, il y deviendra la source de méthodes d'amélioration de la productivité tels que les cercles de qualité et le kaizen.
Dans sa forme pédagogique, le programme TWI a été largement bâti sur l'expérience et les idées de Charles Allen, spécialiste de la formation actif au début du XXe siècle. Celui-ci avait défini une approche de la formation en quatre étapes :
Préparation : préparer les esprits à absorber une idée nouvelle, en la rapprochant de ce qu'ils savent déjà ;
Présentation : introduire l'idée nouvelle dans l'esprit de l'apprenti ;
Application : former l'apprenti à réaliser cette idée en pratique. Tant que la personne ne sait pas mettre en pratique ce qu'il a appris, la formation reste vaine ;
Tester : laisser la personne faire sans aide et s'assurer qu'elle réussit dans son utilisation de ce qu'elle a appris.
On retrouve ici la trame du fameux "PDCA" (Plan-Do-Check-Act") ou cycle de Deming/Shewhart. Le succès de cette méthode en quatre points semble tenir à l'élaboration d'une séquence de transmission centrée sur les points essentiels et formée de séances de deux heures.
Le programme TWI japonais était essentiellement consacré à développement les compétences des agents de maîtrise sur les cinq dimensions suivantes :
Connaissance du contenu du travail supervisé
Connaissance de la responsabilité d'un superviseur par rapport à son équipe
Savoir-faire en formation pour permettre au superviseur de former les membres de son équipe
Savoir-faire en amélioration des méthodes de travail pour permettre au superviseur de faire progresser les méthodes et son équipe
Savoir-faire en leadership.
Fondamentalement, il s'agit de transformer le rôle de superviseur, le faisant passer de celui de chef à celui de coach. Par coaching, le programme TWI impliquait une séquence codifiée de même type :
Expliciter les raisons des demandes et les avantages qu'elles entraîneront ;
Expliquer les principes qui déterminent l'action ;
Savoir choisir un problème spécifique et le résoudre avec l'opérateur ;
Lui demander de résoudre un problème similaire seul ;
Reconnaître les résultats et l'effort.
Le coaching, si à la mode dernièrement, n'est donc nullement une invention récente.
En quoi ces méthodes sont-elles pertinentes par rapport au lean ? Une anecdote le montre bien : lorsque John Shook, qui travaillait alors à Toyota NUMMI aux Etats Unis, a dû concevoir les premières formations pour les ouvriers américains de Toyota, il a eu la grande surprise de voir ses collègues japonais lui montrer comme exemple du type de supports à concevoir de vieilles copies des manuels de TWI dont ils se servaient comme modèle pour les formations de Toyota.
L'article de Jim Huntzinger permet de mettre en valeur un point trop souvent ignoré du TPS : le rôle important des superviseurs dans le respect des standards et l'amélioration continue. On découvre ici, en effet, qu'au delà d'inventions propres à Toyota telles que le jidoka (dès 1902) ou le juste-à-temps (1950), le coeur de l'approche humaine du TPS repose sur le développement des superviseurs dans un rôle de coaching pour entraîner l'amélioration continue venant des opérateurs.